Mes symptômes ont commencé très jeune; ils sont d’abord apparus sous
forme d’anxiété. Lorsque j’étais toute petite, si quelqu’un que ne je
connaissais pas venait à la maison, je me cachais sous la chaise de ma mère et
je tombais endormie. J’ai perdu mes cheveux en commençant la maternelle, et
lorsque j’étais en première année, j’ai eu des crises de panique qui ont
entraîné l’hyperventilation, ce qui a causé des épisodes épileptiques et ce qui
a eu comme conséquence beaucoup de trajets en ambulance. La première fois que
je me rappelle avoir eu une pensée suicidaire était à l’âge de huit ans ‒ je
croyais que le cerveau de tout le monde fonctionnait comme le mien; je m’inquiétais
de ce qui se produirait si l’autobus scolaire se renversait et je me demandais
comment je pourrais sortir? Je m’inquiétais au sujet de mon père lorsqu’il
lavait les fenêtres doubles; je visualisais qu’il tombait et je me demandais ce
que je pourrais faire pour l’aider. Je m’inquiétais de tout constamment, et je
regardais les étoiles en espérant que quelqu’un ou quelque chose soulagerait ma
douleur.
Lorsque j’étais au secondaire, j’ai eu recours à l’automutilation pour
essayer de gérer mes émotions. Je consommais de l’alcool de façon excessive, je
me frappais la tête contre les murs, je me coupais – tout cela en continuant de
figurer au tableau d’honneur, en participant aux activités parascolaires et en
planifiant mon éducation postsecondaire. J’ai travaillé très fort pour cacher
le niveau de douleur psychologique qui était devenu « normal »pour
moi, et j’étais à la poursuite de ma valeur dans la réalisation personnelle.
Au début de l’université, il s’est produit une série d’événements – j’étais
une jeune femme qui allait vivre dans la grande ville après avoir reçu son
diplôme du secondaire cinq, le début de l’université a été vite suivi d’une
grève du personnel, il y a eu l’annonce que quelqu’un de la famille était
atteint d’un cancer, et puis une perte massive dans un accident d’automobile. Au
cours d’une très courte période, je suis restée confinée chez moi; j’étais
convaincue que les autres pouvaient voir à quel point j’étais une personne
horrible et je me suis mise à rêver, planifier et vivre chaque instant pour figurer
une façon de mourir. Peu après, j’ai vécu mon premier épisode psychotique; une
créature monstrueuse ressemblant à une fourmi se tenait derrière le fauteuil et
me disait que j’allais mourir, car j’étais tellement horrible, tellement moins
que rien et que mes proches allaient mourir avec moi. La seule manière de les
sauver était de m’enlever la vie. Peu après, j’ai été hospitalisée pour la première
fois dans un établissement psychiatrique.
J’ai lutté pendant plus de 10 années dans le système, avec des
admissions répétées, beaucoup de médications différentes, des effets
secondaires, des plans de traitement, et recueillant de nouveaux diagnostics
psychiatriques chaque fois que différents médecins me traitaient tout au long
de ce cheminement. J’ai continué à essayer de trouver qui j’étais, j’ai suivi
des cours à l’université, j’ai occupé quatre emplois à temps partiel lorsque je
pouvais travailler, et je me suis enfermée chez moi lorsque je ne pouvais pas.
J’ai vraiment cru que si je travaillais encore plus fort, je pourrais retrouver
une vie normale. Pourtant, peu importe les efforts que j’y mettais, rien ne
fonctionnait.
J’avais certes de plus longues périodes de stabilité, mais je n’arrivais
jamais à me débarrasser de ce sentiment interminable de dévalorisation absolue.
J’ai adopté des stratégies d’adaptation afin de pouvoir fonctionner quand même,
et je gérais ensuite la douleur derrière les portes closes. Mon époux et moi
(que j’ai commencé à fréquenter à l’âge de 17 ans) avons eu à nous adapter
aux changements au cours de notre relation – parfois il était celui qui devait
me « surveiller » pour me maintenir en vie, et d’autres fois, nous étions
des partenaires égaux dans la vie.
Une longue période de stabilité nous a amenés à réfléchir et après de
nombreuses discussions, nous avons décidé de nous marier et d’avoir des enfants
après 10 ans de fréquentation. Après avoir suivi un traitement de
fertilité, j’ai donné naissance à notre premier enfant et j’ai fait une légère
dépression post-partum. J’ai collaboré très étroitement avec mon gestionnaire
de cas pour faire tout ce que je pouvais pour développer un sentiment d’attachement;
tout allait bien au travail lorsque j’ai découvert les services sociaux et j’ai
bien aimé faire du bénévolat communautaire (j’avais un don particulier pour la
constitution et les règlements – j’étais une bolé de nature!). Quelques années
ont passé et nous avons décidé d’essayer d’avoir un autre enfant.
Je suis tombée enceinte avec notre première fille, mais la grossesse a
été très difficile dès le début. Nous avons découvert au milieu de ma grossesse
qu’elle avait la triploïdie (qui est, selon la communauté médicale « non
compatible avec la vie »). Elle est mort-née le 18 avril 2007. Ce
fut de loin l’épreuve la plus difficile pour mon époux et moi-même. J’ai
croyais avoir fait mon deuil après avoir pleuré un peu après sa naissance; j’étais
loin de me douter de la douleur profonde qui m’attendait.
Je suis encore tombée enceinte peu de temps après, j’ai fait une fausse
couche et puis je suis tombée de nouveau enceinte avec notre deuxième fille. Elle
est née le 10 avril 2008. Huit jours plus tard, nous avons marqué le
premier anniversaire de notre fille mort-née. Six semaines plus tard, j’ai subi
le pire épisode de dépression post-partum qui a mené à une psychose peu de
temps après. J’ai trouvé tout ce qu’il me fallait pour m’enlever la vie, j’ai
même trouvé le lieu où j’allais le faire, il me restait seulement à trouver un
endroit pour que ma fille soit en sécurité. Elle avait des coliques et elle ne
cessait pas de pleurer, alors je ne pouvais pas la laisser. J’ai conduit
pendant ce qui m’a semblé être des heures pour essayer de la calmer, mais elle
n’arrêtait toujours pas et le destin a fait que je me suis rendue chez mon
gestionnaire de cas pour me retrouver aux soins d’urgence.
J’ai été hospitalisée pendant 10 mois au cours de cette première
année. J’ai essayé une thérapie électroconvulsive, différents traitements; tout
me semblait mener nulle part. Je me suis sentie profondément démolie – un deuil
non résolu, combiné avec une maladie mentale préexistante, en plus des
problèmes de dépression post-partum, tout s’est accumulé au point où je
devenais parfois catatonique; j’écrivais des codes sur les murs de ma chambre d’hôpital,
et je voyais un homme vêtu d’un manteau noir me suivre dans les couloirs de l’hôpital.
J’aurais pu vous donner le taux respiratoire du patient se trouvant à deux
portes plus loin tellement mes sens étaient aigus.
La psychologue locale a été consultée – je l’avais vue sur l’étage avec
son chien (il suivait une thérapie pour chien) et étant donné mon amour des
animaux, elle m’a intriguée dès le début. En prenant le temps de faire
connaissance, nous avons développé une confiance mutuelle. Elle m’a interrogée
à mon sujet et non seulement sur des symptômes. Comme l’évaluation prenait fin
et que les recommandations prenaient de plus en plus d’importance, nous nous
sommes rencontrées régulièrement pour entreprendre une thérapie. En raison du
haut niveau de confiance que j’ai établi, j’ai pu aller jusqu’au
« cœur » de ma douleur et, pour la première fois de ma vie, j’ai été
capable de commencer à traiter le traumatisme que j’ai éprouvé lorsque j’ai été
victime d’abus sexuel alors que j’étais encore une jeune enfant. La douleur
était intolérable et je devais souvent avoir un panier à ordure tout près, car
les nausées étaient incontrôlables. Je me suis fâchée contre elle, et je
sentais que je ne pourrais jamais y retourner, puis j’ai réalisé que ma colère
n’avait rien à voir avec elle, mais qu’elle était causée par la douleur de la
situation. Je savais que j’avais touché le fond – j’avais le choix d’y
retourner pour faire face à la douleur et figurer un moyen de m’en sortir, ou
bien de mourir. C’était à la fois compliqué et très simple.
J’ai été capable de parler de mon sentiment de culpabilité pour avoir
perdu ma fille, de ma culpabilité de me sentir un être humain sans valeur et de
la honte que je ressentais du plus profond de mon être pour avoir besoin de
soins palliatifs psychiatriques. Lentement, très tellement, j’ai commencé à
reprendre espoir en la vie. Les membres du personnel sur cette unité ont été
merveilleux tout au long de cette année avec leurs hauts niveaux de
collaboration et leurs idées non conventionnelles (j’ai reçu des laissez-passer
de jour pour suivre des cours à l’université au beau milieu de cet épisode,
puisque c’était une planche de salut pour moi) et ils ont été là pour moi
lorsque mon époux amenait nos enfants me visiter chaque jour afin que nous
puissions travailler à tisser les liens qui étaient nécessaires. J’ai pu
obtenir mon diplôme d’études supérieures en travail social en 2011 et j’ai
continué à contribuer à ma collectivité en faisant du bénévolat chaque fois que
je le pouvais.
Au cours du lancement de cette campagne, on m’a demandé si j’étais
guérie. Loin de là… Je manifeste toujours les symptômes d’une maladie mentale –
notamment la dissociation, la psychose et les changements d’humeur quand les
facteurs de stress deviennent trop accablants. La différence maintenant est que
j’ai une équipe (en particulier une psychologue) à qui je fais confiance à
1 0000 %, et que j’ai travaillé très fort pour identifier les
symptômes à mesure qu’ils surviennent afin que nous puissions les gérer
immédiatement. J’ai cru fermement pendant plusieurs années que, si seulement je
pouvais comprendre mes symptômes, je pourrais les faire disparaître. Je sais maintenant
que de comprendre n’est pas suffisant pour que les symptômes disparaissent,
mais que d’en être consciente me permet d’avoir accès au soutien beaucoup plus
rapidement pour que la maladie dure moins longtemps. J’accepte le fait que mon
cerveau fonctionne différemment des autres personnes et je suis
particulièrement consciente lorsque je sens que les choses changent dans ma
façon de penser ou de percevoir les choses. Je réalise que je peux accumuler
ces changements en créant de mauvaises habitudes de pensées négatives et que je
peux sombrer plus profondément dans la maladie, mais que le changement initial
peut être relié à un changement au niveau du stress, au sommeil ou simplement à
l’ennui. C’est mon rôle au sein de l’équipe de leur laisser savoir lorsque le
changement initial apparaît afin que le traitement puisse faire effet et que la
situation ne s’aggravera pas de façon exponentielle.
Très récemment, j’ai donné naissance à notre troisième fille. Mon risque
de dépression post‑partum était très élevé. Je l’ai ressenti, mais grâce à la
préparation et à l’intervention de mon équipe, il n’y a eu qu’une légère
alerte. Pour la première fois, j’ai pu éprouver le sentiment maternel à l’égard
de mon nouveau-né, immédiatement après sa naissance. Je suis tellement
reconnaissante; les heures qu’ils ont consacrées à me donner des soins n’ont
pas été faciles, mais l’idée du recouvrement, tel que je l’ai envisagé est
maintenant bien présente dans ma vie. Le rétablissement pour moi n’est pas l’absence
de symptômes, mais c’est plutôt de vivre une vie bien remplie tout en sachant
comment les contrôler. Pendant plusieurs années, j’étais une morte ambulante,
et je portais un masque en tentant de répondre aux attentes de la société. En
enlevant ce masque et en invitant les membres d’une équipe à m’aider, je
travaille tous les jours pour comprendre mon cerveau qui fonctionne
différemment des autres. Est-ce que je crois que je suis formidable? Non, loin
de là – en vérité, je crois qu’une partie de mon cerveau ne fonctionne tout simplement
pas. Est-ce que je lutte contre ce sentiment pour accomplir des choses malgré
tout? Oui – et pour cette raison, je suis infiniment reconnaissante.